vendredi 28 novembre 2008

Métisse

Je suis métisse. Quand on est enfant métisse, on a toujours en soi ce malaise face à l'autre qui ne voit pas de quelle origine vous êtes, qui ne vous le demande pas, mais qui vous interroge quand même du regard. Il y a ce non-dit, cet espèce de tabou qui pousse les gens polis a ne pas vous demander de quelle origine vous êtes pour ne pas prendre le risque que vous les preniez pour des racistes. Quand on est petit, et que, comme moi, on n'a jamais été complètement immergé dans la culture d'origine de vos parents, on ne comprend pas vraiment ces regards insistants, qui sous-entendent que vous n'êtes pas vraiment français alors que vous êtes nés ici et que vous ne parlez même pas la langue de vos ancêtres.

C'est compliqué, quand on est petit, de comprendre qu'on n'appartient pas a une seule culture
, comme toute le monde, mais de deux cultures bien différentes, et qu'on doit très souvent se plier aux règles des deux cultures. D'un côté, on ne doit pas trop sortir puisque la famille passe avant tout, on mange du riz avec de la viande sautée, et on doit le respect total a ses aînés. D'un autre côté, on voit tous ses petits copains organiser des fêtes d'anniversaire chez eux et inviter une tripotée d'amis, ils mangent des coquillettes au jambon à midi, et toutes vos copines font des bisous a leur maman et leur racontent leur journée dans les moindres détails. C'est agaçant, quand on est enfant, de voir vos copains faire tout ce que vous avez toujours voulu faire. C'est même blessant parfois.

Je me souviens d'un jour, quand j'étais a l'école en CM1, nous devions ramener notre repas.
J'avais ramené du porc au caramel, c'était ce qu'on avait mangé la veille au soir. Toutes mes petites copines ont regardé bizarrement mon repas, du riz qui colle avec de la viande et des carottes qui nagent dans une sauce liquide et marron, car c'était une curiosité qu'on ne leur avait jamais servi auparavant. De plus, quand elles m'ont demandé ce que c'était et que je leur ai répondu que c'était du porc au caramel, elles ont esquissé un air de dégoût et l'une d'entre elles a ajouté « bah dis donc, t'as dû faire une bêtise énorme pour que ta mère te force a manger ça ». Retour de karma oblige, j'étais bien contente de savoir que la jeune fille en question a mangé de la purée de choux de bruxelles le lendemain.

Ce que je comprendrai plus tard c'est que, ce que je craignais étant petite, être différente, est en fait une chose qui me rendra très cool, et c'est plutôt pas mal.

Après avoir passée la période de l'école secondaire, où les relations sociales n'ont pas vraiment été géniales, je suis rentrée au lycée
. J'y ai rencontré des ados bizarres qui voulaient a tout prix se démarquer. Qui auraient voulu être autres, avoir une autre famille, peut être appartenir a une autre culture ou un autre pays. Au début, c'est quelque chose que je n'ai pas compris. Comment peut-on vouloir ne pas sortir le week end, ne pas dire a ses parents ce qu'on pense vraiment, ne pas inviter ses amis chez soi?

Et puis je me suis rendue compte qu'il y avait des choses que j'avais et que les autres n'avaient pas chez eux.
Je n'ai pas une grand mère qui tricote et qui donne des petits gâteaux, ma grand mère est morte quand j'avais 7 ans parce qu'elle en avait 95 et qu'elle a mis au monde 13 enfants, et dans la famille tout le monde parle d'elle comme si c'était une héroïne de film. Je ne connais pas tous mes cousins, et en fait, je ne sais même pas combien j'en ai réellement. Je ne vois pas mes tantes juste pour les anniversaires et Noël, mais presque tous les week-ends et dans la semaine. Personne n'a une tante qui, comme moi, ne marche jamais jusqu'au centre ville parce que « tu veux que je m'abîme les pieds ou quoi? ». Chez mes copains, au nouvel an, il n'y a pas le son karaoké khmer qui tourne en boucle couvert par les discussions en cambodgien de toute la famille. Chez moi, on ne s'appelle pas Claire et Paul mais Sovatthana et Setha.

Chez moi, on s'aime fort mais on ne se le dit pas.


Alors oui, des deux côtés, il y aura toujours des gens pour dire qu'on appartient pas vraiment a la même culture qu'eux, qu'on est différent. Mais ce que je ne comprenais pas quand j'étais petite, c'est qu'il n'y a aucun mal à être différent de ces gens là. Avoir plusieurs cultures en soi, c'est non seulement profiter des richesses que l'on acquiert dans ces cultures, mais c'est aussi acquérir l'intelligence et la compréhension nécessaires pour vivre en société, quelle que soit la nationalité de cette société.

La diplomate

Je soulève souvent le problème de la compréhension inter-cultures, puisque c’est un problème qui me touche de très près. J’aime faire partie de deux cultures très différentes et voir que je suis le produit parfait du mélange des deux. J’aime savoir pourquoi d’un côté du monde on se comporte comme ça, et pourquoi de l’autre on ne le comprend pas. J’aime tenir cette place si confortable, comme si être métisse c’était présider un important repas diplomatique.

nounours.jpgMais j’ai beau savoir comment se comportent les uns et les autres, et comprendre le pourquoi de leur comportement, il y aura toujours des choses que je ne pourrais pas accepter, même si ces choses font entièrement partie de la culture en question.

J’adore ma belle mère. Elle est gentille, fait très bien la cuisine, tient une maison très propre et est la femme parfaite pour mon papa. Elle m’a donné l’occasion d’être pour une fois la grande sœur, avec un demi frère épatant et magnifique. Mais j’ai beau l’adorer, cette belle-mère, certaines choses m’échapperont toujours, et il y a même des choses sur lesquelles je ne suis pas d’accord du tout.

Ma belle mère punit sans sommation. Dès que mon petit frère fait une bêtise, elle commence d’abord par lui frapper gentiment les doigts avec la main en lui disant d’arrêter. La réponse en général ne se fait pas attendre : mon frère riposte et frappe à son tour. Sa mère frappe plus fort, et ça va de mal en pis. Lui commence à pleurer de douleur, riposte à chaque fois, et à chaque fois, ma belle mère use d’outils plus effrayants les uns que les autres, en passant de la fourchette à la spatule en bois, pour faire comprendre à mon petit frère que non, il ne faut pas frapper les adultes.

Je ne me suis jamais souvenue de mon éducation comme une partie sombre de ma vie, où on répondait à mes questions par « on pose pas des questions comme ça » ou « tu sauras quand tu seras plus grande » et où à chaque fois que je tentais de faire une bêtise je me prenais une tarte sans même l’avoir vue venir. Je prenais très rarement des fessées, et si je m’en prenais je m’en souvenais. Je n’ai donc jamais compris les parents qui punissaient leurs enfants sans jamais leur avoir expliqué avant pourquoi ils seraient punis s’ils ne se comportaient pas bien.

J’ai donc été très choquée par le comportement de ma belle mère à l’égard de mon petit frère. Déjà, j’ai été frappée par la violence des punitions. Très franchement, si vous voyiez la scène vous ne seriez sûrement pas choqués, mais le fait de n’avoir été que très rarement punie corporellement parlant dans ma vie a beaucoup joué dans mon interprétation des choses. Et puis j’ai été aussi choquée par le fait que ma belle mère se comporte en fait comme un enfant face à un autre enfant, sans utiliser de mots, mais seulement d’actes pour montrer son mécontentement, comme si elle n’était pas dotée de parole. Ça en deviendrait presque risible si mon petit frère ne se faisait pas frapper à chaque fois.

Tout ceci me met toujours dans une position très délicate : en tant que khôn (enfant en cambodgien), je ne peux décemment discuter les choix de mon aînée devant son propre fils. Mais, n’appliquant pas les mêmes méthodes punitives que ma belle-mère sur mon petit frère, et mes méthodes fonctionnant évidemment mieux que les siennes, mon petit frère m’obéit mieux à moi qu’à ma belle-mère. Et vu qu’il m’obéit mieux, ben je vexe mon aînée, donc je lui fais perdre la face.

La situation est vraiment très compliquée
. Je ne peux décemment discuter les méthodes éducatives de ma belle mère, c’est son fils et je ne suis que la demi sœur. Mais je ne peux décemment appliquer les méthodes éducatives de ma belle-mère non plus, qui sont tout à fait contre mon éthique, et parfaitement inutiles à mon goût.

Ma belle mère a trouvé sa propre solution au problème : fermer les yeux. C’est elle la plus âgée, elle n’a donc rien à apprendre de moi, et il n’y a donc rien à discuter sur sa façon d’éduquer son fils. De mon côté, quand mon petit frère se fait punir sans sommation, mon cœur se brise en mille morceaux, mais jamais je ne me permettrais de m’interposer. J’ai décidé d’expliquer les choses à mon petit frère quand il a fini de se faire punir, puisqu’il m’est quand même insupportable de le laisser en pleurs et dans une telle incompréhension.

Bien sûr ça a ses avantages de comprendre plusieurs cultures et d’en faire partie. Bien sûr parfois on a l’impression d’être un haut diplomate à un banquet.

N’empêche qu’on a quand même le cul entre deux chaises.

Je m'appelle Tévy

Je ne sais pas si un prénom peut décider de la destinée de quelqu’un, pas plus qu’il existe une destinée. Mais la première chose que je devais dire à chaque fois que je changeais de prof, de classe, de camarades (et croyez moi, j’en ai souvent changé), c’était mon prénom : Tévy.

je-mappelle-terry.jpgA la maternelle j’ai toujours collectionné les bizarreries. Allergies alimentaires, asthme, énormes lunettes, origine asiatique… J’étais précoce aussi, en CM1 j’avais déjà sauté deux classes. Alors quand je me présentais pour la première fois, ce n’étais que le début d’une longue série de faits particuliers rattachés à un prénom tout aussi particulier.

Soyons bien clairs : je suis une fille, une vraie, une avec des seins. Tévy, c’est le prénom de la déesse du bonheur au Cambodge, donc c’est franchement la grosse classe normalement. Enfin normalement. Parce qu’au lieu d’entendre des réflexions comme « c’est joli » avant toute chose, j’avais plutôt des réactions comme « ah tiens, en lisant votre prénom sur la liste, je m’attendais plutôt à voir un garçon ». Plein de tact, plein de charisme, merci mesdames, messieurs les professeurs d’avoir été aussi délicats à la lecture de mon prénom et à la découverte de la personne DE SEXE FÉMININ qui y est rattachée. Si le prénom est directement lié à la destinée, je vais donc bientôt me transformer en truc poilu et à la voix grave, qui ne connaît pas l’existence de la lunette des toilettes et qui a un truc qui lui pousse entre les jambes.

Paradoxalement, j’aurais plutôt mieux compris qu’on écorche mon prénom. J’aurais été moins vexée, plus compréhensive, c’est un prénom exotique, il n’y a aucune consonance française dans ce prénom, les français ont beaucoup de mal à s’habituer aux prononciations étrangères, tout ça, je l’aurai compris, mâché, digéré, et restitué sans haine ni reproche à chaque année où j’avais à me présenter devant un parterre d’inconnus qui y seraient tous allés de leur petite réflexion sur mon prénom. Mais savoir que peut être qu’à la première lecture de mon prénom les professeurs allaient attendre de voir un garçon, mon ego de petite fille, adolescente et maintenant jeune femme n’en a été qu’à chaque fois ébranlé.

Le fait que certains considèrent que mon prénom soit à consonance masculine (pour les français j’entends bien) n’aurait peut être eu aucune incidence sur mon ressentiment si jamais il n’avait pas été accompagné de réflexions plus ou moins désagréables au moment de la découverte de mon prénom. Il y a toujours les petits malins qui essaient de dédramatiser le fait qu’ils trouvent mon prénom horriblement moche et font des blagues dissuasives. Ces gens là font semblant d’avoir mal entendu mon prénom et disent « Quoi? Tivie? Comme télé en anglais? ». Trop drôle, en vingt ans d’existence on me l’avait jamais faite. Et puis il y a ceux qui entendent vraiment mal au début, puis comme ils n’arrivent décidément pas à se rappeler de ce nom si particulier (et apparemment si chiant à retenir), ils finissent par me donner des prénoms francisés, se rapprochant plus ou moins du prénom d’origine. Ça donne: Téva, Debby, Tépi, Daisy, et dans certains cas désespérés Kévin, David, Davie, encore preuve que même avec des seins je dois avoir un certain trop plein de testostérone dans le sang parce qu’on me prend pour un mec. Et il serait trop banal de passer par toutes les blagues de maternelle/début collège sur mon prénom: Tévyvante, Tévycieuse, Tévytaminée, Tévyrtuelle. Autant dire que les blagues comme ça, sérieux, Tévytes (ouais je sais elle était facile celle là).

Je n’ai aucun ressentiment envers mes parents. Personnellement, j’adore mon prénom, et j’ai même le choix puisque à mes 5 ans pour ma première carte d’identité on m’a demandé si je voulais avoir un prénom français. Je peux donc choisir, si mon prénom me pose vraiment problème je peux très facilement en changer. Mais je trouve étonnant le tas de réactions aussi maladroites que vexantes que j’ai pu provoquer à l’annonce d’un simple prénom, qui n’a pourtant, je pense, rien de choquant, qui ne ressemble en rien à un terme sexuel ou scatophile, et qui n’a jamais ô grand jamais fait de mal à personne.

Un peu de tact serait trop demander ? Merci de ne pas se moquer. Je sais que mon prénom est bizarre mais… Il n’y a pas de quoi s’étonner, vu ma personnalité.

Le poids de la culture

Il y a celles qui sont en surpoids : elles ont peut-être cinq, dix, vingt kilos en trop, s’assument ou ne s’assument pas, font des régimes permanents ou sont justes conscientes que leur amour de la bonne chair leur a amené deux trois bourrelets. Et puis il y a celles qui sont minces, même maigres et qui se trouvent grosses. Leur regard devant le miroir est faussé, elles sont obsédées par ces kilos en trop qu’elles voient partout, sur elles, sur les autres, elles scrutent les jolies filles pour voir ce que leur physique a que le leur n’a pas. Il y a aussi celles qui sont bien dans leur peau, qui ont un physique que tout le monde envie et qui en sont conscientes et qui vivent même très bien avec.

1044657051_3e4cf958b1.jpgEt il y a moi.

Moi, j’ai le droit à tous les repas à des conseils diététiques du style : « mange des légumes, j’ai vu les bonbons que tu caches dans ta chambre, tu devrais arrêter si tu veux maigrir, tu devrais vraiment faire un régime, tu as trop de poids ». Je suis traitée d’obèse par mon père, on me regarde de travers dans ma famille quand je dis que je vais manger chez mc do, et quand je dis que je fais du 36 à la communauté dont je fais partie tout le monde me regarde en riant.

J’ai envie de me cacher quand je mange, fuir ces regards accusateurs qui me scrutent à chaque fois que je me sers une autre part. A chaque repas on mange sain : riz, pièces de viande maigre, légumes frais. Le dessert ne se compose que de fruits, et le plus souvent des fruits laxatifs, comme le melon ou des desserts à base de noix de coco. Jamais de gâteaux. Pas ou peu de fritures, de beignets, pas de plats de pâtes à l’huile d’olive, pas de fromage, pas de charcuterie. Je fais du sport, tous les deux jours 40 min de vélo et 20 min de footing minimum. Je ne fais pas vraiment de sport pour maigrir, juste pour me défouler, me changer les idées, me faire plaisir. Mais malgré ça, apparemment, je suis toujours grosse. Pas assez mince pour rentrer dans un slim, pas assez mince pour qu’on arrête de me regarder quand je mange.

Et pourtant…

Et pourtant je mesure 1m52 et pèse 49 kilos. Et pourtant je rentre vraiment dans du 36, je ne trouve pas souvent des robes à ma taille, trop grandes pour moi en général, et je rentre dans tous les pantalons des magasins sans aucun problème. On ne m’a jamais dit que j’étais grosse dans la rue, personne n’a jamais fait d’allusions sur mon poids sauf en bien, les hommes me trouvent séduisante et très bien faite, le sport m’apporte tout ce que je lui demande. Mon IMC est pile dans la moyenne, j’ai des petits seins, certes, mais pour une asiatique je n’en demande pas trop non plus. Je trouve mes fesses trop grosses, mais bon, dans un 36 on va pas chipoter. J’ai des vergetures, oui, j’ai pris beaucoup de poids a la puberté, mais franchement si on ne s’y penche pas, on ne les voit pas.

Je ne suis pas obèse.

Pourtant mon père, médecin, me trouve obèse. C’est fou l’image qu’une communauté peut produire et renvoyer à sa population. Je suis mi française, mi cambodgienne. Certes, les filles cambodgiennes sont très minces. En même temps, pour un pays où la plupart de la population meurt de faim, je trouve ça pas très étonnant. Les jeunes filles cambodgiennes qui sont nées en France sont très minces aussi. Mais c’est un tout autre problème. C’est drôle j’ai tellement voulu défendre ma cause auprès de mon père que j’ai voulu lui ouvrir les yeux sur la réalité de la condition des jeunes filles khmères ici.

Alors j’ai montré à mon père des photos de jeunes filles sur un site internet. Il les a trouvées très minces, mais tout à fait normales. Pas du tout malades. C’était un site pro-anorexique. Mon père trouve que les jeunes filles qui posent en photo sur des sites pro anorexiques sont tout à fait normales, et que d’ailleurs je devrais avoir le même physique. Que pour 1m52 je ne devrais pas peser 49 mais 32 kgs, comme indiqué sur le site internet (je rappelle que c’est un avis purement médical qui parle, mon père est médecin).

En Asie, le culte de la femme au physique parfait est très présent, je parle du Cambodge en général, mais les japonaises souffrent aussi beaucoup du diktat de la minceur. Je n’ai rien contre le fait d’être mince, au contraire, je suis la première à crier au secours quand j’ai pris le moindre gramme. Mais je refuse catégoriquement de me plier aux lois de cette mode qui place comme standard une maladie.

Tout ça pour dire que oui, pour une asiatique je suis grosse, j’ai même cinq kilos en trop par rapport à leurs standards. Mais je revendique aussi le droit de manger en paix. Si je veux grossir en bouffant ce qui me plaît, je boufferai des cochonneries. Personne n’a le contrôle de mon poids sauf moi. Et c’est tant mieux.

Et les connards de leaders d’opinion qui prennent des mal nourries pour des mannequins, je leur dédie cet article : l’anorexie n’est pas un standard, c’est une maladie.