jeudi 18 décembre 2008

Mon réconfort



Il y a certaines choses que l'on trouve particulièrement réconfortantes, mais que personne ne trouve réconfortantes sauf vous.

Il est huit heures ce matin
, je me réveille au son de « Love today ». Je suis habituellement de mauvaise humeur le matin et sors de mon lit en pestant contre le froid de ma chambre. Un petit tour dans la salle de bains pour mettre mes lentilles, me coiffer. C'est après ce rituel que, tous les matins, je descends les escaliers pour aller prendre mon petit déjeuner dans la cuisine. Aujourd'hui mes tantes sont là, l'une fait du vélo d'appartement en regardant des vidéos de karaoké khmer dans le salon, les deux autres papotent sur le canapé. Je secoue la main pour leur dire bonjour, vais dans la cuisine, et m'assois après avoir réchauffé du café et préparé mes tartines. Mes tantes me rejoignent vite. Je n'aime pas parler le matin.

Mais là, c'est différent.

Une de mes tantes prend le café avec moi, me pose une question à laquelle je réponds en grommelant, puis continue sa conversation avec les autres. J'aime quand elles parlent. J'aime quand elles parlent en khmer. Je ne comprends pas tellement leur conversation, qui se compose de bribes de mots en français avec un fort accent asiatique, et de mots en cambodgien que je comprends à moitié. Pour moi, entendre mes tantes parler en khmer entre elles, c'est très réconfortant, et encore plus le matin, quand le réveil vous agresse et que le jour vous pique les yeux. J'adore les écouter parler, sans rien ou presque rien comprendre, c'est comme plonger son coeur et toute son âme dans un bain chaud et doux de rires et de voix asiatiques, avec une mousse abondante de bulles faites de prononciations khmères et de syllabes qui me sont imprononçables, qui sent bon le prahok* et le teuk trey*.

Je me tais, je bois mon café. Et puis de toute façon le matin je n'aime pas parler.


Et puis, elles me regardent, et tous les matins, comme si tous les matins je les étonnais, elles se demandent encore pourquoi je ne parle pas. Pendant ce silence je leur souris, pour leur montrer que ça va, et comme tous les matins où elles sont là, je leur demande si elles veulent un autre café.

C'est la première phrase que je prononce de la journée.
Quand elles sont là, c'est la phrase en cambodgien que je leur destine, même si je sais que je la dis très mal, comme s'il ne fallait pas gâcher cette atmosphère cambodgienne, cette atmosphère si particulière, celle qui me réveille le matin, et qui rend ma journée si belle et si calme.

Pour moi, il n'y a rien de plus agréable qu'entendre les personnes de ma famille rire, parler, se conseiller, blaguer, et même se disputer en khmer. Et même si ce n'est pas ma langue maternelle, j'ai l'impression que c'est plus que jamais cette langue là qui me manquerait si jamais je partais à l'étranger. Je suis sûre, que, si j'étais expatriée, entendre parler français me manquerait moins qu'entendre parler khmer, comme si cette langue parlait à travers mon sang, et criait à travers mon âme que c'est elle que plus que jamais je devrais garder en moi pour me calmer, me réconforter, me retrouver.

* Prahok: mixture de poisson fermenté, pue encore plus que du maroilles pourri
Teuk trey: sauce de poisson préparée, comme celle de la sauce pour nems.

lundi 15 décembre 2008

Les barrières de langue.

On m'a très souvent rapporté des situations qui ont un rapport avec les difficultés que l'on rencontre dans l'apprentissage d'une langue étrangère.

Quand on est étranger, à moins d'avoir une très bonne oreille et des capacités de restitution parfaites, il est fort probable que l'on ait un accent quand on parle une langue étrangère. Du côté cambodgien de ma famille, très peu sont ceux qui sont nés au Cambodge et n'ont pas d'accent khmer quand ils parlent français.

Prenons pour exemple mon père: la première rencontre qu'il a eu avec ma meilleure amie a donné lieu a une situation très cocasse. Mon père n'est pas seulement ne personne qui a un très fort accent quand il parle français mais il a aussi quelques problèmes d'audition. Le jour où il a accueilli ma meilleure amie, qui n'est pas du tout habituée a l'accent khmer, ça a donné ce dialogue là:

Papa: Bonjour
Elle: Bonjour
Papa: Ca va?
Elle (n'a pas compris a cause de l'accent): Comment?
Papa (n'a pas entendu a cause de sa surdité): D'accord.
Et il est parti. C'était de loin la situation la plus drôle que j'ai jamais vécue, due aux barrières de langues.

Le problème ne se pose pas que dans un sens: bien sûr, les français ne comprennent pas souvent les étrangers quand ils ont un très fort accent, mais les étrangers ont aussi beaucoup de problèmes avec la langue française, qui comporte beaucoup d'homonymes.

Pour illustrer mon propos, je vais maintenant parler d'une de mes tantes qui a passé son permis de conduire en France, et en français. Un jour, pendant mon petit déjeuner avant de partir en cours, elle me raconta ses péripéties au cours de son apprentissage de la conduite. Elle me dit qu'une fois, on lui avait montré une diapo de plage de stationnement et posé la question suivante: «  Faut-il se garer en épi, en bataille, en créneau ou à cheval? ». Sachant que le stationnement était interdit, elle répondit quand même « à cheval ». L'inspecteur, étonné, lui demandé d'expliquer sa réponse. Elle dit alors « Bah oui, le stationnement est interdit, on ne peut pas se garer, mais par contre, le cheval, lui, il passe! ». Ma tante m'étonnera toujours.

Les étrangers ont aussi beaucoup de mal avec tout ce qui est homophones. Je me souviendrai bien sûr toute ma vie du jour où je suis allée pour la première fois à la plage avec mon papa. Nous étions entre père et fille au bord de la mer, le ciel était bleu, et mon père voulait me montrer quelque chose. Il se mit alors a ma hauteur, pointa un doigt vers le ciel et dit: « regarde ma biche, les couettes qui volent! ». C'était des mouettes. Bien tenté papa.
La même tante, et toujours dans le cadre de son permis, devait répondre a la question suivante: «  Dans les embouteillages, doit on éteindre le moteur? ». Elle avait confondu « embouteillage » avec « cafétéria » et répondit donc que oui. Et puis elle ajouta: « Bah oui, quand on va aux embouteillages, pour prendre un café, un éteint le moteur pour pas se faire voler sa voiture ».

Bref. On se dit souvent que l'incompréhension engendre le désespoir, et dans certains cas, c'est totalement vrai. Ne pas avoir d'amis ou ne pas pouvoir leur parler dans leur langue est une chose très difficile. Mais pour ceux qui font l'effort de l'apprendre, cette langue, il se profile sur leur chemin de douces rigolades, qu'elles soient volontaires... Ou non.

mercredi 10 décembre 2008

Comment les khmères ont vaincu la machine

Dans les pays pauvres comme la Cambodge, les mères de familles qui n'avaient pas assez d'argent pour s'acheter quoi que ce soit devaient redoubler d'inventivité pour faire avec les moyens du bord. C'est, comme l'expliquait si bien Jamel Debbouze d ans son premier spectacle, le système DTTM, Démerde Toi Toi-Même. Les moyens du bord sont plus tard devenus des habitudes, et même en France dans ma famille mes tantes utilisent encore ces techniques, dont voici quelques exemples:

Dans la rubrique j'ai la main verte:
- Faire pousser du soja dans des briques de lait. Le nombre de fois où je me suis faite engueuler parce que j'avais jeté des briques de lait par mégarde sans avoir pris le temps de demander si la brique vide devait servir ou pas...
- Garder des légumes pour les faire pousser dans le jardin: poireaux, navets, oignons, pommes de terre, tout ce qui peut se replanter y passe. Et je ne parle même pas des courges ^^.

Dans la rubrique rien ne se gâche, tout se mange:
- Arriver à faire un super dessert fait a base de riz: C'est mon dessert préféré et ça coûte pas un rond.
- Arriver a faire des pickles avec des épluchures de légumes: enfin, pas exactement des épluchures, dans un melon par exemple ce sera la partie verte que l'on ne mange pas et qui se situe entre la chair orange et la peau.
- Manger des fruits acides avec du sel. J'ai cru pendant des années que c'était une habitude chez les français aussi: mes déformations culturelles me tueront.

Dans la rubrique je n'utilise pas de place mais je n'utilise pas d'électricité non plus:
- Développer une capacité démentielle a empiler la vaisselle a l'infini sur l'égouttoir de la cuisine sans qu'elle ne tombe. Vous verriez la gueule des piles de vaisselle en train d'égoutter: moi ça me fout les jetons a chaque fois.
- Utiliser un balai en toutes circonstances. Même quand la pièce est grande. Même quand son dos est niqué. Sisi, j'vous jure, les mamans khmères sont des guerrières.
- Préférer râper cinq kilos de carottes avec un économe à main plutôt qu'avec un robot électrique. Parce que « tu sais l'économe ça fait plus fin ». Ouais mais l'économe ça met trois heures de plus. M'enfin.

Leur inventivité m'étonnera toujours. Mais je suppose que, et arrêtez moi si j'ai tort, quand on arrive a survivre plusieurs années dans des camps de réfugiés thaïlandais avec des conditions sanitaires plus que précaires, on peut tout faire, et plus rien ne nous fait peur. Surtout pas une épluchure de légume. Haha. Ha. Ahem.

vendredi 5 décembre 2008

Quoi qu'il arrive, toujours regarder vers le haut.

Les ressortissants de pays pauvres vous diront souvent que l'éducation est ce qu'il y a de plus important dans la vie. J'ai moi-même plusieurs amis d'origine étrangère qui font de longues études alors qu'ils sont issus d'un milieu modeste: une fille qui passe son CAPES avec un papa chauffeur routier et une maman femme de ménage, une autre en troisième année de Lettres Étrangères Appliquées anglais-chinois dont la maman est coiffeuse et le papa dans la restauration, et bien d'autres encore. Le fait est que, quand on est issu d'un milieu plutôt intellectuel en étant d'origine étrangère, on est encore plus poussé à l'excellence.

Les asiatiques sont des personnes très avares de compliments.
Par exemple, en chinois, on utilise très rarement le compliment « très bien » (很好) mais plutôt « pas mal » (不错). Mes parents n'échappaient pas à cette règle et avaient l'habitude de me sermonner quand j'avais de mauvaises notes, mais de ne pas trop me complimenter quand j'en avais de bonnes. J'étais donc très contente quand mon père laissait échapper un « c'est bien » quand j'avais bien travaillé. J'étais aussi terrifiée de me faire sermonner, puisque, comme bien des enfants, j'ai des parents qui ont de très bons arguments pour me convaincre de travailler, très convaincants, et surtout interminables.

Les arguments étaient toujours les mêmes, évoqués par ordre d'importance
: ma mère, qui s'est faite toute seule, a été deux fois major de sa promotion pendant ses études d'infirmière, et maintenant co-auteur d'un article sacré meilleur article de l'année dans une revue médicale renommée, et puis mon père, qui a totalement refait ses études de médecine alors qu'il les avait déjà faites au Cambodge, et puis voulais-je vraiment me montrer irrespectueuse envers mes si nombreux cousins cambodgiens qui rêveraient d'aller à l'école? Bien sûr, pou échapper au sermon habituel, je m'efforçais de travailler dur pour ne pas décevoir mes parents.

Et puis il arrivait des moments où les sermons n'avaient plus aucun effet sur moi: avoir un bon 12 de moyenne sans travailler, c'était une chose non négligeable pour certains. Quand je me plaignais que ma moyenne avait baissé, il y avait toujours deux ou trois camarades pour me dire qu'eux n'avaient pas une aussi bonne moyenne que moi, et que je devrais être heureuse... Et mes parents, qui n'étaient pas de cet avis, avaient vite fait de remettre les pendules a l'heure: « le travail, c'est comme escalader une montagne, il n'y a qu'une fois qu'on est au sommet qu'on peut regarder en bas ». Après cette phrase, j'ai vite fait de ne plus discuter de ms notes à l'école, pour ne pas avoir à expliquer le fait que mes parents pensaient que je ne devais pas regarder mes camarades, plus bas que moi dans l'ascension, au risque de me donner le vertige et de tomber.

Un jour les sermons ont arrêté
. Bien sûr, j'étais devenue une bonne élève, mais j'ai aussi fini par me sermonner toute seule: maintenant, dès que j'ai une note que je considère mauvaise, mon seul but devient de toucher du doigt l'excellence et de faire en sorte que la prochaine devienne la meilleure possible. Je suis une perfectionniste, et j'aime la compétition, certes, mais pas seulement. Il y aura toujours en moi cette part de fierté de ne plus être sermonnée, de voir que mon père évoque mon parcours scolaire avec cette même fierté devant des amis, et aussi de pouvoir dire à ces cousins au Cambodge, à tous ces gens qui aimeraient tellement être à ma place : regardez-moi, je ne vous ai pas déçus.

mercredi 3 décembre 2008

Le sourire du Bouddha


Je parle souvent de mon papa comme le grand méchant loup, la peur au ventre, et le ressentiment coincé entre les dents. Il est vrai que quand on a été élevé a la française, voire a la Dolto, qu'on nous a toujours tout expliqué dans les moindres détails, qu'on a toujours répondu a toutes nos questions, même les plus stupides, on a du mal à avaler le concept de respect de l'adulte sans respect retour, du « ta gueule ou tais toi », et du « tu le fais sinon honte à toi sur trois générations » .

Chez les khmers, on nous inculque ça dès l'enfance par principe, par culture, pour que les enfants sachent que c'est par l'expérience et la connaissance qu'on gagne le respect
. C'est aussi à cause de la culture que l'on apprend dès tout petit le respect des ancêtres, qui nous ont enfantés, qui ont vécu des choses horribles comme la guerre des khmers rouges tout comme des choses géniales dont je reparlerai dans de prochains articles.

Et puis, apprendre à encaisser les ordres sans rien dire et les reproches de nos ancêtres, ça nous apprend aussi à relativiser beaucoup de choses sans en penser moins. Mon père en a fait une technique très élaborée que j'aimerais un jour savoir reproduire: le sourire du Bouddha.

Je pense que c'est une technique que mon père a dû travailler des années et des années.

Quand on voit mon père pour la première fois, on se dit que c'est un homme qui ne parle pas beaucoup, et ne montre pas beaucoup ses sentiments non plus.
Pendant les fêtes de famille, il s'assoit dans un siège bien confortable, dit deux trois phrases dans la soirée, et sourit de temps en temps. C'est la technique du sourire du Bouddha: quand mon père entend une énormité, et qu'il sait que s'il répond pour rétablir la vérité, il finira par faire perdre la face a son interlocuteur, il sourit un peu mais pas trop, comme un Bouddha. Cela pour a la fois soulager son trop plein d'émotion en entendant les informations erronées, et aussi pour montrer qu'il ne perd pas le fil de la conversation, même s'il ne parle pas des masses.

Je ne sais pas exactement si cette technique provoque des répercutions sur la santé de mon papa, mais il a l'air de relativement bien se porter, comme si les années d'entraînement dans son enfance avec ses propres parents avaient porté leurs fruits.

Mon père a peut être des méthodes d'éducation très discutables pour les occidentaux
. Il a peut être été un peu rude avec moi, des fois, beaucoup de fois, ou même beaucoup trop de fois. Mais il se retient de faire perdre la face ou de vexer un nombre démesuré de personnes, en employant une technique qui a été créée grâce à la rudesse de ses parents, et les remarques de ces ancêtres. Qui suis-je donc pour dénigrer cette éducation? Je subis, avec le sourire du Bouddha, pour peut être moi aussi, un jour, épargner un grand nombre de personnes de la rudesse et du manque de tact typiquement occidentaux.