samedi 19 décembre 2009

La mer. Et les mouettes aussi.

Petite, et jusqu'à maintenant en fait, je ne suis jamais allée a la montagne. Jamais de ski, jamais de jambe cassée et de rapatriement en hélicoptère, et puis jamais de fondue savoyarde, de raclette, de trucs comme ça. Nan. Mon frère a eu la chance d'aller en classe verte a la montagne en maternelle il me semble. Moi en maternelle, je suis allée dans une abbaye pleine de moines, avec de la poussière et des maîtresses qui ne voulaient pas que je me serve de ma ventoline. J'ai failli mourir d'une simple crise d'asthme. Mes parents étaient furieux. M'enfin là n'est pas le sujet.

Le sujet c'est que je ne suis jamais allée a la montagne, toujours à la mer: j'ai écumé, avec mes parents pendant les vacances scolaires, presque toutes les plages du sud de la France, alors que mon frère n'est pas un si grand fan d'eau salée, et qu'on aurait très bien pu aller à la montagne vu que c'était bon pour mon asthme en plus. J'sais pas. L'altitude ne m'a jamais attirée. Et puis à cette époque là j'avais le vertige, et mon père aussi, et ça l'arrangeait bien.

Ce qui est paradoxal dans tout ça, c'est que j'ai appris assez tard à nager: alors que tous les enfants avaient déjà barboté à huit ans, moi, à douze je savais a peine brasser. J'ai appris assez vite, et je n'ai jamais pu me résigner à quitter définitivement l'eau. J'allais a la piscine quand je ne pouvais pas aller a la mer, et il y a un lac près de chez ma mère où j'allais régulièrement courir. Mon père vit aujourd'hui dans le sud de la France, et je loue un appartement face à la plage. Je n'ai jamais vraiment remarqué ma fascination pour l'eau, pour les bateaux.

Encore plus paradoxal, je trouve dommage de détester autant le poisson, et j'en suis tellement verte que j'aime quand même les crustacés. A chaque fois que je mange du poisson je m'imagine qu'il a un goût différent. Une texture de poisson, certes, mais avec un goût d'iode moins prononcé. Depuis toute petite, il y a avec le poisson quelque chose qui cloche pour moi. Quelque chose d'indescriptible. Comme si auparavant j'avais déjà goûté du poisson et qu'il avait un goût différent, un goût d'eau douce et de friture que je recherchais à chaque fois que je mangeais ces infâmes poissons panés dont mon frère raffolait quand il était gamin.

Et puis, je suis allée chez ma tante Sarina, environ trois jours après mon arrivée au Cambodge. Pour les Cambodgiens qui mangent du poisson tous les jours, c'était impensable que je ne mange pas de poisson. Tellement impensable que ma tante Khom a décidé d'en faire quand même. Elle m'a dit en khmer que ce poisson qu'elle me préparait, le « poisson éléphant » n'était pas « saap ». Que pour cette raison, je l'aimerai. Bien évidemment, j'ai demandé à papa ce que ça voulait dire, ce mot, « saap ». En fait il n'y a aucun équivalent en français, c'est un mot qui désigne l'odeur forte et particulière du poisson, ce goût iodé que je n'arrive pas à aimer.

Et donc, ce goût que j'essayais à tout prix de retrouver, à chaque fois que je mangeais du poisson, cette idée que je me faisais de cette saveur, était là. Dans le fameux poisson éléphant. C'était comme si j'en avais mangé il y a très longtemps et que j'avais enfin eu l'opportunité d'en remanger. C'était tellement bizarre, j'ai ressenti la même sensation que quand on cherche pendant des mois voire des années le titre et le compositeur d'une chanson et qu'on finit par enfin le retrouver dans une vieille cassette audio au fond d'un tiroir. Ou même quand on résout un problème de maths. J'suis même presque sûre qu'Archimède a ressenti cette sensation quand il a crié son premier « Eurêka ».

Et cette sensation, je l'ai ressentie aussi la première fois que je suis allée à la mer au Cambodge. Enfin non, la deuxième fois.
La première fois que je suis allée à la plage, elle était sale, le sable plein de détritus, sur la piste pour y aller il y avait un rat mort et ça sentait le touriste à plein nez. Non. La deuxième fois que je suis allée à la plage au Cambodge, c'est une autre tante qui nous y a emmenés. À O treh. Une plage magnifique, une eau tellement poissonneuse que les poissons s'y échouaient, une eau chaude comme celle du bain alors qu'il pleuvait, et surtout, pas âme qui vive. Tout était beau. Tout était comme je me l'imaginais à chaque fois que j'allais a la plage en France et que je découvrais la plage bondée de mamies en topless huilées et cramées jusqu'à la moelle, et l'eau froide à en congeler un rôti de porc de 800g. Et j'vais même vous dire un truc: cette plage, elle m'attendait. Elle m'attendait depuis toujours, elle m'ouvrait les bras, et elle voulait que je reste.

Alors ouais, tout ça, c'est juste un gros cliché. C'est l'histoire de la petite métisse née en France qui est jamais allée au Cambodge et qui se rend compte qu'en fait, si elle aime le riz c'est pas parce qu'elle a toujours eu des goûts spéciaux. C'est le cliché de la fille qui revient à ses origines et qui se rend compte que cette moitié qu'elle avait toujours cherché en elle était à une journée d'avion, et pas dans un problème psychologique débile dû à un dédoublement de personnalité. C'est le patrimoine génétique caché en chacun. C'est l'oiseau qui migre au sud pour la première fois et qui ne sait pas où il va mais qui y va quand même. En fait nous, les khmers, comme le dit si bien un pote à moi, on est tous des mouettes. Et ce qui m'énerve le plus dans tout ça, c'est que mes cousins savaient qu'ils étaient des mouettes depuis le début et que moi j'ai toujours cru que j'étais un vilain petit canard. Et bah non. Moi aussi j'suis une mouette. Une mouette bridée. Bon allez j'suis fatiguée moi j'vais dormir.