dimanche 30 mai 2010

Brève du Srok Khmer: La Pagode d'argent.

Papa: Bon, maintenant qu'on est allés voir le jardin du palais royal, on va aller voir la Pagode d'argent.
Moi: Aaah. Et pourquoi elle s'appelle comme ça cette pagode?
Papa: Parce qu'elle est en argent dedans

Logique.

samedi 29 mai 2010

Le papier ne peut pas envelopper la braise.

Mon père m'a toujours dit que la première personne a gouverner le cambodge était une reine. Pas un roi, une reine. Que les femmes au Cambodge ne sont pas considérées comme elles l'étaient en France avant la légalisation de la pilule. Il m'a aussi toujours dit que les femmes et les hommes se partagent les tâches équitablement. Qu'un homme s'il en était obligé était toujours capable de faire la cuisine, faire le ménage, laver les assiettes ou repasser ses affaires. J'ai toujours idéalisé cette hiérarchie presque matriarcale où les femmes sont les patrons de la maison.

Évidemment, en réalité, c'est assez différent.
Bien sûr, les femmes au Cambodge ont le pouvoir sur l'éducation des enfants et la façon dont la maison doit être tenue. Elles sont tout le respect des hommes pour ça. Certaines micro-entreprises sont même tenues par des femmes au Cambodge. Mais on ne peut pas passer outre la situation de la femme outre ces exemples exceptionnels.

Si je devais commencer quelque part pour exprimer le côté paradoxal du discours de mon père face à la condition de la femme au Cambodge, je parlerais de cette cousine, que je ne connais pas, et qui est atteinte d'une maladie cérébrale incurable.
Après que papa m'ait expliqué les détails de cette maladie, et que c'était précisément parce qu'elle était malade qu'elle est venue en France le voir, ma tête s'est remplie de milliers d'interrogations, de peurs et de peines pour cette jeune fille que je n'avais vue qu'une seule fois, assise sur la balancelle de ma veranda, n'ayant pas prononcé un seul mot. A chaque instant, elle pouvait faire une attaque, paralysée et tétanisée, l'obligeant à quitter l'école, et rester seule à la maison. La première chose que j'ai été capable de dire était « mais elle a des amis? Elle va pouvoir rester sociabilisée même avec ses aller-retours à l'hopital? ». Mon père a esquissé un sourire gêné. « Tévy, ce que tu dois savoir c'est que le Cambodge n'est pas la France, si les jeunes filles khmères ne vont pas à l'école pour se former et avoir un métier. Elles le font la plupart du temps pour savoir lire et écrire ». J'ignorais ce détail. Quand elles se marient, elles délaissent leur métier si leur mari est riche pour se consacrer pleinement à leur vie de famille, faire la cuisine, tenir la maison, élever les enfants et faire les courses au marché. « Une jeune fille au Cambodge, ça reste à la maison. Surtout quand sa famille est pauvre et qu'elle n'est pas mariée ».

En fait, une jeune fille ne peut avoir son indépendance au Cambodge que si elle se marie. Avant cela, elle peut trouver un emploi, mais elle devra rester dans la maison familiale pour s'occuper des membres plus jeunes de sa famille, ou de ses parents, s'ils se font vieux. Une jeune fille khmère ne vit jamais seule. Jamais. C'est aussi pour cette raison que la notion de famille est aussi importante au Cambodge: une jeune fille qui grandit le fera toujours au sein d'une famille. Que ce soit celle où elle est née, ou celle qu'elle aura fondé.

Alors bien sûr, il y a des jeunes filles qui sont poussées à quitter leur famille pour aller en ville y chercher du travail. Mais ce sont des cas extrêmes et isolés, la plupart de ces jeunes filles ont été séparées de leur famille quand elles étaient dans les camps de réfugiés thaïlandais, ou elles sont parties de chez elles pour nourrir leurs parents et travailler à l'usine. Malheureusement, le travail qu'elles finissent par trouver n'est pas vraiment celui auquel elles s'attendaient.

Je serais très étonnée que quelqu'un s'indigne que j'évoque la prostitution en parlant de la condition féminine au Cambodge. Ne pas l'évoquer serait comme ne pas évoquer le problème de la corruption là bas.
Ce serait fermer les yeux devant un problème qui dépasse tout ce qu'on pourrait imaginer. D'ailleurs, quand on tape « femmes au Cambodge » sur google, les deux premiers liens vous proposent de vous marier à une cambodgienne. A l'international, on parle plus du commerce sexuel des femmes et des enfants cambodgiens que d'Angkor Wat, rendons nous à l'évidence. Dire que je suis d'origine cambodgienne en France ne suscite pas les sourires plein de sous entendus des jeunes hommes parce qu'être métisse, c'est beau, mais parce qu'être cambodgienne, ça veut aussi un peu dire que je suis une pute. Il y a une raison très simple à ça: pendant la guerre du Vietnam, la Thailande a été transformée pour les américains en une vaste terre de « repos et loisir ». La région du Mékong étant la plus touristique de l'Asie du sud est, vous pouvez bien comprendre que le touriste sexuel qui va au Laos et en Thaïlande ne se privera pas d'aller faire un petit tour au Cambodge aussi. Pour résumer la situation, en 1990, on estimait le nombre de femmes prostituées à 1500. En 1993, le nombre de prostitués femmes et enfants s'élevait déjà à 20 000 à cause de l'arrivée des casques bleus entre temps et du retrait de l'Apronuc, l'Autorité transitoire des Nations Unies au Cambodge. Après la libéralisation économique et la transition au capitalisme, le taux de prostitution a explosé au Cambodge, après une légère baisse lors du retrait des casques bleus: en 1996, on évaluait à 57 000 le nombre de jeunes femmes et de fillettes prostituées, 70% d’entre elles se retrouvant dans les deux plus grandes villes, Phnom Penh et Battambang. La prostitution au Cambodge est tellement courante que certaines ONG ne se construisent qu'autour du combat contre le tourisme sexuel: AVEC, l'Afesip (Agir pour les femmes en situation précaire, association fondée par Somaly Mam, auteur du livre Le silence de l'innocence), et tant d'autres viennent chercher les prostituées la nuit tombée ou les enfants abusés par les touristes étrangers pour leur venir en aide.

Mais ici, soyons clairs. Ce n'est pas parce que la condition de la femme au Cambodge est difficile que la plupart d'entre elles et de leurs enfants se prostituent. C'est le fait de la pauvreté extrême et du manque évident d'aides sociales. Les ONG, les associations et tous les organismes venant tous les jours en aide à la population manquent aussi de moyens pour faire changer les choses. Tout se fait pas à pas, mais si le gouvernement n'a même pas la mentalité suffisante pour adopter une loi contre la corruption quand un membre des Nations Unies la propose, et enfin combattre ce jeu de flux d'argent pour nourrir le peuple, c'est sans issue.

Et donc, si j'ai voulu vous parler de ce point de la condition féminine au Cambodge, c'est parce que je suis tombée sur une série de vidéos, ci dessous, un reportage sur la vie des « mauvaises filles » dans les buildings, Le papier ne peut pas envelopper la braise.











Alors oui, les prostituées tombent vite dans l'engrenage de la drogue et deviennent les animaux battus des maquerelles. Mais il n'y a pas que les prostituées qui sont battues, et les violences au sein du couple sont de plus en plus répandues au Cambodge.

Selon le courrier international, en 2009, une femme sur trois au Cambodge était une femme battue.
C'est un malheureux record du monde. On trouve même un article sur le site du Courrier International qui qualifie les violences conjugales de « tradition séculaire » au Cambodge. Je ne sais pas si cette condition féminine est liée au fait que l'un des classiques khmers soit le Chbab Srey, qui a été pendant longtemps appris par coeur par les jeunes filles, qui est la lettre d'une femme à sa fille et qui enseigne la totale servilité des femmes face à leur mari. Huit pages de sanscrit où cette mère dit à sa famille comment se comporter au sein du foyer, se préserver avant le mariage, prendre soin de ses aînés, et surtout autant de règles saines que de règles désuettes ou absurdes, comme ne pas s'asseoir sur le mauvais siège parce qu'une femme qui prend la mauvaise place ne mérite même pas d'être une femme au Cambodge (?), ne jamais répondre à son mari même s'il nous insulte, laisser passer une nuit et revenir régler le problème avec des mots doux, etc. En tout cas, la plupart des femmes battues au Cambodge ne parlent pas de leur situation, et parfois même prennent la faute sur elle. Puisque c'est perdre la face que de dire que son mari est violent. Oser rejeter la faute, c'est perdre la face. Oser se plaindre, c'est perdre la face.

En définitive, je pense que mon père est parfois aveuglé par la situation que la femme a dans sa propre famille, qui est loin d'être une famille cambodgienne pauvre. Mais qu'au moins, après la lecture de cet article, lui saurait faire la part des choses entre « le pays où il y a le plus de femmes battues au monde » et « le pays dont le premier dirigeant était une reine ».