samedi 26 juin 2010

Tévy et les cambodgiens, gaffe #2

J'ai 5 ans. Mon père regarde une vidéo dans le noir, c'est en cambodgien, je ne comprends pas. Une vieille cassette tourne dans le magnetoscope, avec des montages ignobles en couleurs fluos avec des gens que je suppose de ma famille habillés avec des chemises blanches et des jupes ou pantalons noirs. Papa est apathique. C'est la première fois que je le vois regarder la télé aussi attentivement.

« Demain, Tévy, on va chez tata Setha, pour la cérémonie d'enterrement de grand mère et grand père. N'oublie pas, blanc en haut et noir en bas ». En fait, moi, je ne suis pas triste. D'une part, je n'ai vu mes grands parents qu'une fois: ils sont venus en visite chez moi avec toute la famille, nous étions vingt cinq personnes en tout dans notre pavillon familial, et mes grands parents avaient vécu 16 heures d'avion sans boire ni manger parce qu'on leur avait dit qu'on tenterait surement de les empoisonner dans l'avion. Mon grand père avait 97 ans et ma grand mère 95. D'autre part, je ne parlais pas cambodgien, et eux pas français. C'est le seul souvenir que j'ai d'eux.

Le lendemain donc, nous nous sommes tous retrouvés chez ma tante habillés comme des pingouins, coincés dans le petit appartement avec pour seule et unique occupation le discours long, enfin interminable du bonze qui était spécialement venu pour la cérémonie et qui parlait en cambodgien et en français, mais dans un français tellement terrible que je ne comprenais rien à ce qu'il disait.

Je me souviens très bien de ce bonze
. Un homme grand , grand oui, c'est assez rare pour un cambodgien, avec une toge orange, assez vieille d'ailleurs, et des lunettes rondes. Il a fait le tour de l'appartement et a serré la main à tout le monde: mon oncle Rhinn, mon cousin Kiri, mon papa, et quand je me suis avancée pour lui serrer la main, il m'a fait un sourire et ma tante m'a fait de gros yeux.

« Tévy, les bonzes ne peuvent pas toucher les femmes ». Bravo, bien joué.

samedi 19 juin 2010

Oh!



C'est marrant, hein? Deux semaines après que j'aie écrit cet article sur la condition féminine au Cambodge et la prostitution, France 24 fait la une des vidéos stars sur dailymotion avec un sujet sur le tourisme sexuel en Thaïlande et au Cambodge. J'suis grave a la pointe de l'actu, les gens.

mercredi 16 juin 2010

Tévy et les cambodgiens, gaffe #1

Papa: Donc tu vois, c'est bien, maintenant tu as rencontré une tante de plus que tu n'avais jamais vue.
Moi: Comment ça une tante? Ming Sarina c'est la maman de Daravi, non?
Papa: Oui, et Sarina c'est ma petite soeur.
Moi: Mais Daravi c'est la femme avec mon cousin Phumin, non?
Papa: Oui.
Moi: Mais tu veux dire qu'ils se sont mariés entre cousins?
Papa: Oui.

Ma tante Sarina me dévisage, ainsi que mon cousin Phumin, et Daravi et Papa se marrent devant ma gueule déconfite qui vient de se rendre compte que c'est la deuxième fois que je suis témoin d'un mariage consanguin dans ma famille.

Mais je suis pas choquée.

Hein, je suis pas choquée, hein?

...

Bon, ok. Je récupèrerai ma crédibilité plus tard.

lundi 14 juin 2010

Niam baï.

Ce qui est marrant quand on est enfant d'émigré cambodgien, c'est que la première chose qu'on vous apprend à dire en khmer est « niam baï », ce qui veut dire « manger ». Et la première chose que vous apprenez à dire quand vous allez au Cambodge plus tard, c'est « ot kliene té », ce qui veut dire « je n'ai pas faim », parce qu'on vous donne tellement de bouffe que vous n'en pouvez plus. Pour les khmers, la nourriture c'est aussi important que de respirer. Même plus important, on peut retenir sa respiration quand on mange, et c'est peut être pas super pratique mais au moins ça prouve une chose: la bouffe, pour les cambodgiens, c'est la vie. Les khmers mangent tout le temps, le matin au petit dej', entre les repas, le midi, au goûter, le soir, tout le temps.

Mais il y a une distinction entre la manière de manger à la cambodgienne et celle à la française. Déjà, contre toute attente, les khmers ne mangent pas avec des baguettes en général. Ils mangent avec une fourchette et une cuillère. Pourquoi? Parce que les khmers n'ont pas été sinisés. Ensuite, quand un cambodgien apprécie le repas qu'il est en train de manger, il le mange lentement, pour mieux l'apprécier, c'est un signe de politesse envers son hôte. Si il mange un repas rapidement, ça veut dire que c'est très mauvais et qu'il veut en finir au plus vite. Chez les français, c'est exactement le contraire.

Je me souviens donc d'un jour où nous étions chez de la famille en Bretagne, enfin de la famille, un très bon ami à mon père quoi, et nous sommes restés quelques jours chez eux. M'enfin pas longtemps. Ceci pour deux choses: premièrement, mon père déteste profiter de l'hospitalité des gens, et deuxièmement, autant lui que mon frère détestent dormir à l'extérieur puisqu'ils sont insomniaques et qu'au bout de trois heures alors que personne n'est réveillé, eux se retournent déjà dans leurs lits respectifs se demandant quand le soleil va se lever et s'ils peuvent se permettre d'aller dans le salon pour regarder la télé. En plus mes parents sont des maniaques de la propreté, et en Bretagne ils sont plutôt bordéliques. Mais passons.

Ce jour là, nous avons eu droit à un bon repas breton dans les règles de l'art avec un agneau des prés salés, c'tait trop bon sa race d'ailleurs, et puis en dessert, du riz au lait. Moi et mon frère, on a été pendant très longtemps intolérants au lactose ce qui fait que nous étions très peu habitués aux desserts qui n'étaient pas préparés à base de lait de soja ou de coco, mais ça passait assez bien, surtout pour une première fois.

Par contre, papa...

Alors attention. Si je dois admettre une chose, c'est que papa sait tout manger. Tout. Il peut tout avaler sans broncher une seule seconde et sans que rien n'y paraisse un seul instant. C'est son air stoïque qui fait tout le travail, il est super doué pour ça. Il sait tout manger, mais ça ne veut pas dire qu'il apprécie tout. Et il y a deux choses qu'il déteste particulièrement: la frangipane, il dit que ça sent la pâte de scarabée (?), et... Le riz au lait. Me demandez pas pourquoi, (mode préjugé /on) c'est du riz, donc comme tous les asiatiques il devrait aimer ça (mode préjugé /off), oui, mais du riz cuit dans du lait de vache. Et déjà que papa n'est pas très « dessert », si en plus il y a du lait de vache, lui qui n'y est plus du tout habitué, vous pouvez être sûr qu'il va détester ça.

Alors avance triomphante ma tante
(qui est française et très bonne cuisinière), avec sa casserole de riz au lait fait maison et qui en sert à tout le monde même à mon papa qui regarde longuement son bol avant de prendre sa cuillère. Il ne laisse rien transparaître. C'est un maître dans l'art du déguisement. C'est le master super over giga méga prophète du « ne rien laisser paraître ».

Il regarde encore le bol.

Il prend sa cuillère.

Et là, ni une ni deux, il engouffre son bol en moins de temps qu'il ne faut pour le dire. Il a séché le riz au lait comme je ne l'ai jamais vu finir un dessert. Mon père, qui a l'habitude de prendre son temps pour manger parce que « tu sais a l'hôpital on doit toujours langer vite alors à la maison je mange très lentement » a fini son bol de riz au lait en trente secondes top chrono.

Bien évidemment, il avait fini avant tout le monde.
Bien évidemment, ma tante l'a remarqué. Bien évidemment, comme elle est française elle s'est dit que c'était tellement bon qu'il a fini son bol super rapidement. Et bien évidemment, elle l'a resservi. Deux fois.

Voilà pourquoi mon père est un héros.
Parce qu'il a réussi à manger trois bols d'un truc qu'il déteste sans broncher une seule seconde. Et ça, c'est vraiment trop fort.

Mais plus sérieusement, ce que je voulais dire ici c'est qu'encore une fois, les incompréhensions inter culturelles ont triomphé. Mais un jour, mes frères, la culture métisse triomphera, et l'obscurantisme sera anéanti sous une tonne de riz au lait et de durion

...

Si vous avez compris quelque chose à cet article, laissez un commentaire, je vous en prie.