vendredi 28 novembre 2008

La diplomate

Je soulève souvent le problème de la compréhension inter-cultures, puisque c’est un problème qui me touche de très près. J’aime faire partie de deux cultures très différentes et voir que je suis le produit parfait du mélange des deux. J’aime savoir pourquoi d’un côté du monde on se comporte comme ça, et pourquoi de l’autre on ne le comprend pas. J’aime tenir cette place si confortable, comme si être métisse c’était présider un important repas diplomatique.

nounours.jpgMais j’ai beau savoir comment se comportent les uns et les autres, et comprendre le pourquoi de leur comportement, il y aura toujours des choses que je ne pourrais pas accepter, même si ces choses font entièrement partie de la culture en question.

J’adore ma belle mère. Elle est gentille, fait très bien la cuisine, tient une maison très propre et est la femme parfaite pour mon papa. Elle m’a donné l’occasion d’être pour une fois la grande sœur, avec un demi frère épatant et magnifique. Mais j’ai beau l’adorer, cette belle-mère, certaines choses m’échapperont toujours, et il y a même des choses sur lesquelles je ne suis pas d’accord du tout.

Ma belle mère punit sans sommation. Dès que mon petit frère fait une bêtise, elle commence d’abord par lui frapper gentiment les doigts avec la main en lui disant d’arrêter. La réponse en général ne se fait pas attendre : mon frère riposte et frappe à son tour. Sa mère frappe plus fort, et ça va de mal en pis. Lui commence à pleurer de douleur, riposte à chaque fois, et à chaque fois, ma belle mère use d’outils plus effrayants les uns que les autres, en passant de la fourchette à la spatule en bois, pour faire comprendre à mon petit frère que non, il ne faut pas frapper les adultes.

Je ne me suis jamais souvenue de mon éducation comme une partie sombre de ma vie, où on répondait à mes questions par « on pose pas des questions comme ça » ou « tu sauras quand tu seras plus grande » et où à chaque fois que je tentais de faire une bêtise je me prenais une tarte sans même l’avoir vue venir. Je prenais très rarement des fessées, et si je m’en prenais je m’en souvenais. Je n’ai donc jamais compris les parents qui punissaient leurs enfants sans jamais leur avoir expliqué avant pourquoi ils seraient punis s’ils ne se comportaient pas bien.

J’ai donc été très choquée par le comportement de ma belle mère à l’égard de mon petit frère. Déjà, j’ai été frappée par la violence des punitions. Très franchement, si vous voyiez la scène vous ne seriez sûrement pas choqués, mais le fait de n’avoir été que très rarement punie corporellement parlant dans ma vie a beaucoup joué dans mon interprétation des choses. Et puis j’ai été aussi choquée par le fait que ma belle mère se comporte en fait comme un enfant face à un autre enfant, sans utiliser de mots, mais seulement d’actes pour montrer son mécontentement, comme si elle n’était pas dotée de parole. Ça en deviendrait presque risible si mon petit frère ne se faisait pas frapper à chaque fois.

Tout ceci me met toujours dans une position très délicate : en tant que khôn (enfant en cambodgien), je ne peux décemment discuter les choix de mon aînée devant son propre fils. Mais, n’appliquant pas les mêmes méthodes punitives que ma belle-mère sur mon petit frère, et mes méthodes fonctionnant évidemment mieux que les siennes, mon petit frère m’obéit mieux à moi qu’à ma belle-mère. Et vu qu’il m’obéit mieux, ben je vexe mon aînée, donc je lui fais perdre la face.

La situation est vraiment très compliquée
. Je ne peux décemment discuter les méthodes éducatives de ma belle mère, c’est son fils et je ne suis que la demi sœur. Mais je ne peux décemment appliquer les méthodes éducatives de ma belle-mère non plus, qui sont tout à fait contre mon éthique, et parfaitement inutiles à mon goût.

Ma belle mère a trouvé sa propre solution au problème : fermer les yeux. C’est elle la plus âgée, elle n’a donc rien à apprendre de moi, et il n’y a donc rien à discuter sur sa façon d’éduquer son fils. De mon côté, quand mon petit frère se fait punir sans sommation, mon cœur se brise en mille morceaux, mais jamais je ne me permettrais de m’interposer. J’ai décidé d’expliquer les choses à mon petit frère quand il a fini de se faire punir, puisqu’il m’est quand même insupportable de le laisser en pleurs et dans une telle incompréhension.

Bien sûr ça a ses avantages de comprendre plusieurs cultures et d’en faire partie. Bien sûr parfois on a l’impression d’être un haut diplomate à un banquet.

N’empêche qu’on a quand même le cul entre deux chaises.

1 commentaire:

Alia a dit…

holala. Quel triste constat! Désarmant. Cela m'évoque Alice Miller qui a beaucoup écrit sur la maltraitance. Je n'ai jamais lu aucun de ses livres mais bien quelques articles. Pour résumer, et en très gros, elle explique que toute personne maltraitée ne devient pas elle-même maltraitante grâce à la présence dans son entourage d'un témoin secourable (http://alice-miller.com/articles_fr.php?lang=fr&nid=18&grp=11)

Dire que beaucoup de parents utilisent encore ces "petites violences" pour "faire comprendre à un enfant qu'on ne frappe pas". Mais comment peut-on faire ainsi passer le message en faisant exactement son contraire? Je reste infiniment perplexe!